Dossier Leblan : ses dessins de la cathédrale de Reims

Eugène Leblan a réalisé, à partir de 1845, une trentaine de dessins de la cathédrale pour des planches à graver, publiées trois fois (1858 / 1894 / 1982) depuis cette époque où il collaborait, à Reims, avec l’architecte de la cathédrale Arveuf et, à Paris, avec J. Gailhabaud, historien-encyclopédiste de l’architecture ancienne ; ce qui explique sa notoriété quand il s’engage, soutenu par le maire V. Diancourt, dans son ambitieux projet d’édition des Monuments historiques de la Ville de Reims

Eugène LEBLAN : ses dessins de la cathédrale de Reims (années 1840) ; sa collaboration avec l’architecte J-J Arveuf et la destinée de ses dessins originaux

L’album Rha8 sur l’habitat civil à Reims en hommage à E. Leblan [voir] n’a pas développé son important travail de dessin de la cathédrale mais, grâce à une mention retrouvée dans sa nécrologie de l’Almanach Matot-Braine, on sait maintenant dans quel contexte il a réalisé ses dessins : il était « dessinateur et chef de bureau » de l’architecte diocésain de la cathédrale J-J Arveuf [voir plus bas]. La question est de savoir ce que sont devenus les dessins originaux de la cathédrale par Leblan…

En 1982, l’abbé Jean Goy, un des membres du Rha, avait publié « La Cathédrale de Reims, 31 dessins », un dossier à compte d’auteur maintenant épuisé, compilant la trentaine de dessins de Leblan gravés et publiés pour la première fois en 1858 dans une publication encyclopédique de J. Gailhabaud [voir plus bas]. Jean Goy avait utilisé la réédition rémoise de ces planches par Alphonse Gosset en 1894.

En 1989, cette fois-ci pour le Rha, Jean Goy publia un autre album d’iconographie plus ancienne :
« La cathédrale de Reims, Dessins et Gravures, 13e-18e siècles », 33 planches avec la préface de J. Balland, archevêque de Reims (15 août 1989)
[voir album Rha4]

Couverture et page de titre de l’album-monographie « La cathédrale de Reims », Alphonse Gosset, 1894 (cote BMR Carnegie : RGG 16). Cet album ne semble avoir été tiré qu’à 200 exemplaires

Dans cet album où 30 planches sur 36 sont pourtant celles gravées d’après les dessins de E. Leblan, l’architecte A. Gosset n’évoque pas la contribution de Leblan, il ne le cite, dans son introduction « à mes concitoyens », que parmi ceux qui ont célébré la cathédrale « par le crayon et la gravure » ; il y remercie seulement les éditeurs « détenteurs des planches  » déjà publiées en 1858 par Gailhabaud dans « L’Architecture du Ve au XVIIe siècle« . A. Gosset avait pourtant collaboré avec Leblan : il est l’auteur avec L. Paris des derniers fascicules des « Monuments Historiques de la Ville de Reims » (IX et X : l’Église Saint Remi) terminant l’aventureuse publication et parus en 1888 après la mort de Leblan fin 1883.

Au début de l’étude de A. Gosset, on trouve une remarquable Bibliographie de la cathédrale « d’après Henri Jadart ».
[Télécharger Télécharger l’introduction, toute cette bibliographie et la table des planches de l’album de A. Gosset]

Toutes les occurrences de l’iconographie de la cathédrale de Reims dans l’ouvrage de Gailhabaud y apparaissent…

La notice bio-bibliographique sur E. Leblan, insérée en 1886 à la fin du fascicule X des MHVR, et vraisemblablement rédigée par L. Paris avec A. Gosset ou H. Jadart, se termine par cette mention : « …les originaux de ses dessins les plus remarquables, ceux de la cathédrale de Reims, de la restitution de Saint Remi, de la rue de Tambour, de l’Hôtel de Ville, sont conservés soit au Ministère des Beaux-Arts, section historique, soit au Musée de la Ville de Reims qui en a fait l’acquisition.
Une référence de la biblio de Jadart pour la cathédrale (ci-dessus =>) confirme cette acquisition qui pourrait correspondre à tout ou partie d’un actuel « portefeuille Reimbeau » conservé à la BM Reims Carnegie (Catalogue iconographique 1982, p. 78) ; les dessins de Leblan pour l’édition de Gailhabaud ne semblent pourtant pas apparaître dans les détails de ce Catalogue (pour la cathédrale : p. 77-140 et index Leblan…) qu’il faudrait vérifier.

Première édition par Jules Gailhabaud des planches gravées de la cathédrale d’après les dessins de Leblan (1858)

Les dessins de Leblan (quelquefois avec Roguet et avec Reimbeau pour l’archevêché) pour réaliser les planches de l’édition de Gailhabaud en 1858 ont dû être confiés à l’éditeur et aux graveurs bien avant cette date ; si ces dessins ont bien été réalisés quand Leblan travaillait pour l’architecte J-J Arveuf, chargé de la cathédrale entre 1840 et 1860 [voir plus bas], la question reste celle de la propriété de ces dessins et de leur conservation éventuelle, vers 1880-90, « au Ministère des Beaux-Arts, section historique »

Pour ne pas faire double emploi avec la monographie de la cathédrale de Reims parue dans le Gailhabaud ou pour une question de droits de reproduction, Leblan n’envisageait de publier un fascicule sur la cathédrale et l’archevêché que vers la fin du programme des 36 fascicules pour « Les Monuments historiques de la ville de Reims« .

Voir ci-dessous Le Courrier de la Champagne du 10-12-1883 qui publie, deux semaines avant la mort soudaine de Leblan, une lettre anonyme mais bien intentionnée et renseignée (L. Paris ?) qui indique les fascicules en préparation, la façon dont le maire V. Diancourt et la municipalité ont soutenu Leblan dans son projet et qui tente de susciter une aide parisienne pour améliorer la situation éditoriale déjà précaire de la souscription pour Les Monuments de la Ville de Reims…

L’œuvre de Jules Gailhabaud (1810-1880, voir notice INHA, 2008, P. Rodriguez) a influencé le projet rémois d’E. Leblan. De 1840 à 1860, Gailhabaud publia, en souscription, ses deux ouvrages encyclopédiques et illustrés sur l’architecture. Un troisième ouvrage, à compte d’auteur, sur les objets de l’Art universel mit à mal sa fortune personnelle mais, à la fin du Second Empire, la Ville de Paris l’aida : en rachetant ses collections et en l’intégrant au « service des Travaux historiques » (projets du musée Carnavalet, d’un musée de l’Ustensillage…) L’approche globale de l’architecture et « des arts qui en dépendent » (voir le titre complet) en fait aussi un précurseur de l’étude des Arts décoratifs et du feu musée des ATP. A consulter : sa vaste Table des matières et son Tableau méthodique, au début du tome 1 de l’Architecture…

Cet ouvrage de 1858 en 4 tomes est consultable et téléchargeable (sans les grandes planches in folio, souvent dispersées, à la BM Reims aussi..) sur le site de la bibliothèque de l’Université d’Heidelberg.

Page de titre l’ouvrage de Gailhabaud en 4 volumes « L’Architecture du Ve au XVIIe siècle et les arts qui en dépendent » et p. 1 et 4 du prospectus de la publication en souscription (BMR Carnegie cote G577) ; la monographie de la cathédrale de Reims se trouve dans le tome premier en tête de l’ouvrage (voir plus bas)

Fin de la notice rédigée par Gailhabaud pour la Monographie de la cathédrale de Reims :

Liste des 29 planches issues des dessins de Leblan (quelques fois avec Roguet) dont 6 planches doubles in folio. Après le début de cette Table de classement du Gailhabaud, on trouve la Table des matières et son Tableau méthodique :

En comparant la très fournie Table des matières de Gailhabaud avec la conception et la réalisation du programme de Leblan et des fascicules des Monuments historiques de la Ville de Reims, en particulier au sujet de l’architecture civile (maisons en pierre, en pans de bois, fontaines, boucheries, portes en bois, ferronneries, carrelages, cheminées…), on constate que cette oeuvre de Leblan est une déclinaison rémoise du projet encyclopédique de Gailhabaud ; elle aurait peut-être été menée à bien si V. Diancourt était resté maire de Reims après 1882 et si E. Leblan n’était pas décédé brusquement en 1883. Si Leblan, à partir de 1860-70, travaille sur l’architecture civile c’est à cause de l’urgence de la préservation d’un patrimoine menacé par la modernisation du centre ville et les alignements à faire depuis le plan Legendre ; c’est aussi parce qu’il ne travaille plus à la cathédrale…

Leblan « dessinateur et chef de bureau » de J-J Arveuf, architecte diocésain chargé de la cathédrale de Reims

On ne sait presque rien du travail de Leblan pour Arveuf ; en particulier si Leblan réalisa bien ses dessins de la cathédrale, gravés ensuite pour Gailhabaud, dans le cadre de la mission d’entretien de l’architecte diocésain nommé par l’Etat

Qui était l’architecte J-J Arveuf ? Qui est  » l’inspecteur » local fort compétent mentionné dans le rapport de Viollet-le-Duc en 1853 ? Leblan a-t-il subi un contre coup de la démission d’Arveuf, en conflit avec l’archevêque de Reims, Mgr Gousset, qui lui préférait N. Brunette, l’ architecte de la Ville…

Voir la notice ci-dessous tiré du site ELEC et du Répertoire des architectes diocésains du XIXe siècle

Paris, 1802-1876.
Admis à l’école des Beaux-Arts en 1822. Adjoint en 1830 aux travaux de l’abbatiale Saint-Denis. En 1832, il obtient un second prix au concours ouvert pour une salle de spectacles à Tours, compose un projet d’édifice à affecter à l’exposition des produits de l’industrie à Paris et travaille à la Bibliothèque royale ( F13 638 a, lettre de Hély d’Oissel, directeur des travaux publics, à Jessaint, préfet de la Marne, du 14 septembre 1832).
La même année, il est appelé à rédiger un rapport sur les cathédrales d’Auvergne (Clermont, Le Puy, Saint-Flour,etc.) ; il est chargé, à la même époque, de l’entretien de la cathédrale de Reims, Châlons où il construit un buffet d’orgue et Saint-Flour. En 1843, il participe au concours de Notre-Dame de Paris. En 1842, il est chargé de proposer un projet de maître-autel pour la cathédrale de Clermont-Ferrand qu’il présente en 1844. En 1848, il est maintenu architecte diocésain de la cathédrale de Reims. Il s’oppose au cardinal Gousset qui lui préfère Brunette, chargé du séminaire et résident. En 1853, Viollet-le-Duc écrit à son sujet (compte-rendu du personnel, 1853) :
« M. Arveuf est un architecte fort habile et connu comme tel ; les travaux qui ont été exécutés à la cathédrale de Reims sous sa direction sont bien faits, bien ordonnés et bien conduits. Toutefois, on se plaint à Reims, et Son Éminence particulièrement, des trop rares apparitions de M. Arveuf qui, se trouvant fort occupé par d’importants travaux en dehors de ceux-ci, ne peut consacrer au diocèse de Reims le temps nécessaire. La cathédrale de Reims et l’archevêché sont des monuments assez importants pour mériter de la part de l’architecte chargé de leur conservation une attention suivie et une surveillance assidue. Cet état de choses, contraire au décret du 7 mars 1853, ne pourra toutefois être maintenu. Mais d’un autre côté, l’administration est en droit d’exiger de M. Arveuf des visites plus fréquentes à Reims. Du reste, M. Arveuf est particulièrement secondé par son inspecteur, jeune homme très soigneux, fort au fait des travaux, les surveillant avec une parfaite assiduité, et connaissant bien son monument. Ses attachements et sa comptabilité sont parfaitement tenus. J’ai demandé à deux reprises à M. Arveuf des plans et notes sur les édifices diocésains de Reims que je n’ai pu obtenir ».
En 1858, il sollicite la légion d’honneur, Hamille écrit à son sujet (juillet 1859) :
« Ayant un grand talent d’artiste, mais incapable d’administrer et de respecter les devis ; sous ce point de vue il offre si peu de garantie qu’il n’est pas capable d’entreprendre la restauration de la belle cathédrale de Reims. Si on voulait le décorer, ce serait à la condition d’obtenir la démission de ce qu’il ferait. Mais cela me paraît d’un triste exemple ».
En 1860, il est remplacé provisoirement par Viollet-le-Duc puis, à titre définitif, après sa démission en 1862.
En 1874, après le décès du cardinal Gousset et la démission de Viollet-le-Duc, il cherche à reprendre ce poste mais c’est Millet qui est choisi. Arveuf fils écrit à ce sujet le 25 juillet 1874 :
« En 1862, se trouvant en mésintelligence avec Mgr Gousset, cardinal de Reims, et ne partageant pas ses idées au sujet des travaux à effectuer dans la cathédrale, M. Arveuf soutenant les idées du gouvernement fut fondé de prier M. le ministre des cultes de vouloir bien nommer un architecte à Reims pour continuer les travaux de restauration de la cathédrale. M. le ministre, n’acceptant pas la démission de M. Arveuf, crut devoir nommer M. Viollet-le-Duc, alors inspecteur diocésain, pour s’entendre avec Mgr Gousset en laissant toutefois le titre d’architecte honoraire du diocèse de Reims ».
Arveuf a construit en 1851 les églises d’Eurville et de Fayl-Billot dans la Haute-Marne.

Bibliographie

F19 7229.
Delaire, p. 94.
Dictionnaire arch. Paris, I, p. 18.
GAB, 1884, pl. XXXI.
IND, 1862-1863.
Sauer, V.

Notice  terminée juin 2011 – JJV © Rha

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